Caritas in Veritate, l'encyclique
sociale du pape Benoît XVI, VIème chapitre |
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Caritas in Veritate, Introduction et Ier chapitre
: Le message de Populorum Progressio
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Caritas in Veritate, IIème chapitre : Le
développement humain aujourd'hui
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Caritas in Veritate, IIIème chapitre : Fraternité,
développement économique et société civile
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Caritas in Veritate, IVème chapitre :
Développement des peuples, droits et devoirs, environnement
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Caritas in Veritate, Vème chapitre : La
collaboration de la famille humaine
CHAPITRE VI
LE DÉVELOPPEMENT DES PEUPLES
ET LA TECHNIQUE
68. Le thème du développement des peuples est intimement lié à celui du
développement de chaque homme. Par nature, la personne humaine est en
tension dynamique vers son développement. Il ne s’agit pas d’un
développement assuré par des mécanismes naturels, car chacun de nous se sait
capable de faire des choix libres et responsables. Il ne s’agit pas non plus
d’un développement livré à notre fantaisie, dans la mesure où nous savons
tous que nous sommes donnés à nous-mêmes, sans être le résultat d’un
auto-engendrement. En nous, la liberté humaine est, dès l’origine,
caractérisée par notre être et par ses limites. Personne ne modèle
arbitrairement sa conscience, mais tous construisent leur propre « moi » sur
la base d’un « soi » qui nous a été donné. Non seulement nous ne pouvons pas
disposer des autres, mais nous ne pouvons pas davantage disposer de
nous-mêmes. Le développement de la personne s’étiole, si elle prétend en
être l’unique auteur. Analogiquement, le développement des peuples se
dénature, si l’humanité croit pouvoir se recréer en s’appuyant sur les
“prodiges” de la technologie. De même, le développement économique s’avère
factice et nuisible, s’il s’en remet aux “prodiges” de la finance pour
soutenir une croissance artificielle liée à une consommation excessive. Face
à cette prétention prométhéenne, nous devons manifester un amour plus fort
pour une liberté qui ne soit pas arbitraire, mais vraiment humanisée par la
reconnaissance du bien qui la précède. Dans ce but, il faut que l’homme
rentre en lui-même pour reconnaître les normes fondamentales de la loi
morale que Dieu a inscrite dans son cœur.
69 Le problème du développement est aujourd’hui très étroitement lié au
progrès technologique et à ses stupéfiantes applications dans le domaine de
la biologie. La technique – il est bon de le souligner - est une réalité
profondément humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme. Elle
exprime et affirme avec force la maîtrise de l’esprit sur la matière.
L’esprit, rendu ainsi « moins esclave des choses, peut facilement s’élever
jusqu’à l’adoration et à la contemplation du Créateur” »[150]. La technique
permet de dominer la matière, de réduire les risques, d’économiser ses
forces et d’améliorer les conditions de vie. Elle répond à la vocation même
du travail humain: par la technique, œuvre de son génie, l’homme reconnaît
ce qu’il est et accomplit son humanité. La technique est l’aspect objectif
de l’agir humain,[151] dont l’origine et la raison d’être résident dans l’élément
subjectif: l’homme qui travaille. C’est pourquoi la technique n’est jamais
purement technique. Elle manifeste l’homme et ses aspirations au
développement, elle exprime la tendance de l’esprit humain au dépassement
progressif de certains conditionnements matériels. La technique s’inscrit
donc dans la mission de cultiver et de garder la terre (cf. Gn 2, 15) que
Dieu a confiée à l’homme, et elle doit tendre à renforcer l’alliance entre
l’être humain et l’environnement appelé à être le reflet de l’amour créateur
de Dieu.
70. Le développement technologique peut amener à penser que la technique se
suffit à elle-même, quand l’homme, en s’interrogeant uniquement sur le
comment, omet de considérer tous les pourquoi qui le poussent à agir. C’est
pour cela que la technique prend des traits ambigus. Née de la créativité
humaine comme instrument de la liberté de la personne, elle peut être
comprise comme un élément de liberté absolue, liberté qui veut s’affranchir
des limites que les choses portent en elles-mêmes. Le processus de
mondialisation pourrait substituer la technologie aux idéologies,[152] devenue à
son tour un pouvoir idéologique qui expose l’humanité au risque de se
trouver enfermée dans un a priori d’où elle ne pourrait sortir pour
rencontrer l’être et la vérité. Dans un tel cas, tous nous connaîtrions,
apprécierions et déterminerions toutes les situations de notre vie à
l’intérieur d’un horizon culturel technocratique auquel nous appartiendrions
structurellement, sans jamais pouvoir trouver un sens qui ne soit pas notre
œuvre. Cette vision donne aujourd’hui à la mentalité techniciste tant de
force qu’elle fait coïncider le vrai avec le faisable. Mais lorsque les
seuls critères de vérité sont l’efficacité et l’utilité, le développement
est automatiquement nié. En effet, le vrai développement ne consiste pas
d’abord dans le “faire”. La clef du développement, c’est une intelligence
capable de penser la technique et de saisir le sens pleinement humain du
“faire” de l’homme, sur l’horizon de sens de la personne prise dans la
globalité de son être. Même quand l’homme agit à l’aide d’un satellite ou
d’une impulsion électronique à distance, son action reste toujours humaine,
expression d’une liberté responsable. La technique attire fortement l’homme,
parce qu’elle le soustrait aux limites physiques et qu’elle élargit son
horizon. Mais la liberté humaine n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle
répond à la fascination de la technique par des décisions qui sont le fruit
de la responsabilité morale. Il en résulte qu’il est urgent de se former à
la responsabilité éthique dans l’usage de la technique. Partant de la
fascination qu’exerce la technique sur l’être humain, on doit retrouver le
vrai sens de la liberté, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une autonomie
totale, mais dans la réponse à l’appel de l’être, en commençant par l’être
que nous sommes nous-mêmes.
71. Les phénomènes de la technicisation aussi bien du développement que de
la paix montrent qu’il est aujourd’hui possible de détourner la mentalité
technique de son lit humaniste originaire. Le développement des peuples est
souvent considéré comme un problème d’ingénierie financière, d’ouverture des
marchés, d’abattement de droits, d’investissements productifs et de réformes
institutionnelles: en définitive comme un problème purement technique. Tous
ces domaines sont assurément importants, mais on doit se demander pourquoi
les choix de nature technique n’ont connu jusqu’ici que des résultats
imparfaits. La raison doit être recherchée plus en profondeur. Le
développement ne sera jamais complètement garanti par des forces, pour ainsi
dire automatiques et impersonnelles, que ce soit celles du marché ou celles
de la politique internationale. Le développement est impossible, s’il n’y a
pas des hommes droits, des acteurs économiques et des hommes politiques
fortement interpellés dans leur conscience par le souci du bien commun. La
compétence professionnelle et la cohérence morale sont nécessaires l’une et
l’autre. Quand l’absolutisation de la technique prévaut, il y a confusion
entre les fins et les moyens: pour l’homme d’affaires, le seul critère
d’action sera le profit maximal de la production ; pour l’homme politique,
le renforcement du pouvoir; pour le scientifique, le résultat de ses
découvertes. Ainsi, il arrive souvent que, dans les réseaux des échanges
économiques, financiers ou politiques, demeurent des incompréhensions, des
malaises et des injustices; les flux des connaissances techniques se
multiplient, mais au bénéfice de leurs propriétaires, tandis que la
situation réelle des populations qui vivent sous ces flux dont elles
ignorent presque tout, demeure inchangée et sans possibilité réelle
d’émancipation.
72. La paix, elle aussi, risque parfois d’être considérée comme un produit
technique, fruit des seuls accords entre les gouvernements ou d’initiatives
destinées à procurer des aides économiques efficaces. Il est vrai que bâtir
la paix demande que l’on tisse sans cesse des contacts diplomatiques, des
échanges économiques et technologiques, des rencontres culturelles, des
accords sur des projets communs, ainsi que le déploiement d’efforts
réciproques pour endiguer les menaces de guerre et couper à la racine la
tentation récurrente du terrorisme. Toutefois, pour que ces efforts puissent
avoir des effets durables, il est nécessaire qu’ils s’appuient sur des
valeurs enracinées dans la vérité de la vie. Autrement dit, il faut écouter
la voix des populations concernées et examiner leur situation pour en
interpréter les attentes avec justesse. On doit, pour ainsi dire, s’inscrire
dans la continuité de l’effort anonyme de tant de personnes fortement
engagées pour promouvoir les rencontres entre les peuples et favoriser le
développement à partir de l’amour et de la compréhension réciproques. Parmi
ces personnes, se trouvent aussi des chrétiens, impliqués dans la grande
tâche de donner au développement et à la paix un sens pleinement humain.
73. Au développement technologique est liée la diffusion croissante des
moyens de communication sociale. Il est désormais presque impossible
d’imaginer que la famille humaine puisse exister sans eux. Pour le bien et
pour le mal, ils sont insérés à ce point dans la vie du monde, qu’il semble
vraiment absurde, comme certains le font, de prétendre qu’ils seraient
neutres, et de revendiquer leur autonomie à l’égard de la morale relative
aux personnes. De telles perspectives, qui soulignent à l’excès la nature
strictement technique des media, favorisent en réalité leur subordination au
calcul économique, dans le but de dominer les marchés et, ce qui n’est pas
le moins, au désir d’imposer des paramètres culturels de fonctionnement à
des fins idéologiques et politiques. Etant donné leur importance
fondamentale dans la détermination des changements dans la manière de
percevoir et de connaître la réalité et la personne humaine elle-même, il
devient nécessaire de réfléchir attentivement à leur influence, en
particulier sur le plan éthico-culturel de la mondialisation et du
développement solidaire des peuples. Conformément à ce que requiert une
gestion correcte de la mondialisation et du développement, le sens et la
finalité des médias doivent être recherchés sur une base anthropologique.
Cela signifie qu’ils peuvent être une occasion d’humanisation non seulement
quand, grâce au développement technologique, ils offrent de plus grandes
possibilités de communication et d’information, mais surtout quand ils sont
structurés et orientés à la lumière d’une image de la personne et du bien
commun qui en respecte les valeurs universelles. Les moyens de communication
sociale ne favorisent pas la liberté de tous et n’universalisent pas le
développement et la démocratie pour tous, simplement parce qu’ils
multiplient les possibilités d’interconnexion et de circulation des idées.
Pour atteindre de tels objectifs, il faut qu’ils aient pour objectif
principal la promotion de la dignité des personnes et des peuples, qu’ils
soient expressément animés par la charité et mis au service de la vérité, du
bien et d’une fraternité naturelle et surnaturelle. Dans l’humanité, en
effet, la liberté est intrinsèquement liée à ces valeurs supérieures. Les
media peuvent constituer une aide puissante pour faire grandir la communion
de la famille humaine et l’ethos des sociétés, quand ils deviennent des
instruments de promotion de la participation de tous à la recherche commune
de ce qui est juste.
74. Un domaine primordial et crucial de l’affrontement culturel entre la
technique considérée comme un absolu et la responsabilité morale de l’homme
est aujourd’hui celui de la bioéthique, où se joue de manière radicale la
possibilité même d’un développement humain intégral. Il s’agit d’un domaine
particulièrement délicat et décisif, où émerge avec une force dramatique la
question fondamentale de savoir si l’homme s’est produit lui-même ou s’il
dépend de Dieu. Les découvertes scientifiques en ce domaine et les
possibilités d’intervention technique semblent tellement avancées qu’elles
imposent de choisir entre deux types de rationalité, celle de la raison
ouverte à la transcendance et celle d’une raison close dans l’immanence
technologique. On se trouve devant un “ou bien, ou bien” (aut aut) décisif.
Pourtant, la ‘rationalité’ de l’agir technique centré sur lui-même s’avère
irrationnelle, parce qu’elle comporte un refus décisif du sens et de la
valeur. Ce n’est pas un hasard si la fermeture à la transcendance se heurte
à la difficulté de comprendre comment du néant a pu jaillir l’être et
comment du hasard est née l’intelligence.[153] Face à ces problèmes dramatiques,
la raison et la foi s’aident réciproquement. Ce n’est qu’ensemble qu’elles
sauveront l’homme. Attirée par l’agir technique pur, la raison sans la foi
est destinée à se perdre dans l’illusion de sa toute-puissance. La foi, sans
la raison, risque de devenir étrangère à la vie concrète des personnes.
[154]
75. Paul VI avait déjà reconnu et mis en évidence l’horizon mondial de la
question sociale.[155] En le suivant sur ce chemin, il faut affirmer aujourd’hui
que la question sociale est devenue radicalement une question
anthropologique, au sens où elle implique la manière même, non seulement de
concevoir, mais aussi de manipuler la vie, remise toujours plus entre les
mains de l’homme par les biotechnologies. La fécondation in vitro, la
recherche sur les embryons, la possibilité du clonage et de l’hybridation
humaine apparaissent et sont promues dans la culture contemporaine du
désenchantement total qui croit avoir dissipé tous les mystères, parce qu’on
est désormais parvenu à la racine de la vie. C’est ici que l’absolutisme de
la technique trouve son expression la plus grande. Dans ce genre de culture,
la conscience n’est appelée à prendre acte que d’une pure possibilité
technique. On ne peut minimiser alors les scénarios inquiétants pour
l’avenir de l’homme ni la puissance des nouveaux instruments dont dispose la
« culture de mort ». À la plaie tragique et profonde de l’avortement,
pourrait s’ajouter à l’avenir, et c’est déjà subrepticement in nuce (en
germe), une planification eugénique systématique des naissances. D’un autre
côté, on voit une mens eutanasica (mentalité favorable à l’euthanasie) se
frayer un chemin, manifestation tout aussi abusive d’une volonté de
domination sur la vie, qui, dans certaines conditions, n’est plus considérée
comme digne d’être vécue. Derrière tout cela se cachent des positions
culturelles négatrices de la dignité humaine. Ces pratiques, à leur tour,
renforcent une conception matérialiste et mécaniste de la vie humaine. Qui
pourra mesurer les effets négatifs d’une pareille mentalité sur le
développement ? Comment pourra-t-on s’étonner de l’indifférence devant des
situations humaines de dégradation, si l’indifférence caractérise même notre
attitude à l’égard de la frontière entre ce qui est humain et ce qui ne
l’est pas? Ce qui est stupéfiant, c’est la capacité de sélectionner
arbitrairement ce qui, aujourd’hui, est proposé comme digne de respect.
Prompts à se scandaliser pour des questions marginales, beaucoup semblent
tolérer des injustices inouïes. Tandis que les pauvres du monde frappent aux
portes de l’opulence, le monde riche risque de ne plus entendre les coups
frappés à sa porte, sa conscience étant désormais incapable de reconnaître
l’humain. Dieu révèle l’homme à l’homme; la raison et la foi collaborent
pour lui montrer le bien, à condition qu’il veuille bien le voir; la loi
naturelle, dans laquelle resplendit la Raison créatrice, montre la grandeur
de l’homme, mais aussi sa misère, quand il méconnaît l’appel de la vérité
morale.
76. Un des aspects de l’esprit techniciste moderne se vérifie dans la
tendance à ne considérer les problèmes et les mouvements liés à la vie
intérieure que d’un point de vue psychologique, et cela jusqu’au
réductionnisme neurologique. L’homme est ainsi privé de son intériorité, et
l’on assiste à une perte progressive de la conscience de la consistance
ontologique de l’âme humaine, avec les profondeurs que les Saints ont su
sonder. Le problème du développement est strictement lié aussi à notre
conception de l’âme humaine, dès lors que notre moi est souvent réduit à la
psyché et que la santé de l’âme se confond avec le bien-être émotionnel. Ces
réductions se fondent sur une profonde incompréhension de la vie spirituelle
et elles conduisent à méconnaître que le développement de l’homme et des
peuples dépend en fait aussi de la résolution de problèmes de nature
spirituelle. Le développement doit comprendre une croissance spirituelle, et
pas seulement matérielle, parce que la personne humaine est une « unité
d’âme et de corps »,[156] née de l’amour créateur de Dieu et destinée à vivre
éternellement. L’être humain se développe quand il grandit dans l’esprit,
quand son âme se connaît elle-même et connaît les vérités que Dieu y a
imprimées en germe, quand il dialogue avec lui-même et avec son Créateur.
Loin de Dieu, l’homme est inquiet et fragile. L’aliénation sociale et
psychologique, avec toutes les névroses qui caractérisent les sociétés
opulentes, s’explique aussi par des causes d’ordre spirituel. Une société du
bien-être, matériellement développée, mais oppressive pour l’âme, n’est pas
de soi orientée vers un développement authentique. Les nouvelles formes
d’esclavage de la drogue et le désespoir dans lequel tombent de nombreuses
personnes ont une explication non seulement sociologique et psychologique,
mais essentiellement spirituelle. Le vide auquel l’âme se sent livrée,
malgré de nombreuses thérapies pour le corps et pour la psyché, produit une
souffrance. Il n’y pas de développement plénier et de bien commun universel
sans bien spirituel et moral des personnes, considérées dans l’intégrité de
leur âme et de leur corps.
77. L’absolutisme de la technique tend à provoquer une incapacité à
percevoir ce qui ne s’explique pas par la simple matière. Pourtant, les
hommes expérimentent tous les nombreux aspects de leur vie qui ne sont pas
de l’ordre de la matière, mais de l’esprit. Connaître n’est pas seulement un
acte physique, car le connu cache toujours quelque chose qui va au-delà du
donné empirique. Chacune de nos connaissances, même la plus simple, est
toujours un petit prodige, parce qu’elle ne s’explique jamais complètement
par les instruments matériels que nous utilisons. En toute vérité, il y a
plus que tout ce à quoi nous nous serions attendus; dans l’amour que nous
recevons, il y a toujours quelque chose qui nous surprend. Nous ne devrions
jamais cesser de nous étonner devant ces prodiges. En chaque connaissance et
en chaque acte d’amour, l’âme de l’homme fait l’expérience d’un « plus » qui
s’apparente beaucoup à un don reçu, à une hauteur à laquelle nous nous
sentons élevés. Le développement de l’homme et des peuples se place lui
aussi à une hauteur semblable, si nous considérons la dimension spirituelle
que doit nécessairement comporter ce développement pour qu’il puisse être
authentique. Il demande des yeux et un cœur nouveaux, capables de dépasser
la vision matérialiste des événements humains et d’entrevoir dans le
développement un “au-delà” que la technique ne peut offrir. Sur ce chemin,
il sera possible de poursuivre ce développement humain intégral dont le
critère d’orientation se trouve dans la force active de la charité dans la
vérité.
CONCLUSION
Sans Dieu, l’homme ne sait où aller et ne parvient même pas à comprendre qui
il est. Face aux énormes problèmes du développement des peuples qui nous
pousseraient presque au découragement et au défaitisme, la parole du
Seigneur Jésus Christ vient à notre aide en nous rendant conscients de ce
fait que: « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5); elle nous
encourage: « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt
28, 20). Face à l’ampleur du travail à accomplir, la présence de Dieu aux
côtés de ceux qui s’unissent en son Nom et travaillent pour la justice nous
soutient. Paul VI nous a rappelé dans Populorum progressio que l’homme n’est
pas à même de gérer à lui seul son progrès, parce qu’il ne peut fonder par
lui-même un véritable humanisme. Nous ne serons capables de produire une
réflexion nouvelle et de déployer de nouvelles énergies au service d’un
véritable humanisme intégral que si nous nous reconnaissons, en tant que
personnes et en tant que communautés, appelés à faire partie de la famille
de Dieu en tant que fils. La plus grande force qui soit au service du
développement, c’est donc un humanisme chrétien,[157] qui ravive la charité et se
laisse guider par la vérité, en accueillant l’une et l’autre comme des dons
permanents de Dieu. L’ouverture à Dieu entraîne l’ouverture aux frères et à
une vie comprise comme une mission solidaire et joyeuse. Inversement, la
fermeture idéologique à l’égard de Dieu et l’athéisme de l’indifférence, qui
oublient le Créateur et risquent d’oublier aussi les valeurs humaines, se
présentent aujourd’hui parmi les plus grands obstacles au développement.
L’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain. Seul un humanisme
ouvert à l’Absolu peut nous guider dans la promotion et la réalisation de
formes de vie sociale et civile – dans le cadre des structures, des
institutions, de la culture et de l’ethos – en nous préservant du risque de
devenir prisonniers des modes du moment. C’est la conscience de l’Amour
indestructible de Dieu qui nous soutient dans l’engagement, rude et
exaltant, en faveur de la justice, du développement des peuples avec ses
succès et ses échecs, dans la poursuite incessante d’un juste ordonnancement
des réalités humaines. L’amour de Dieu nous appelle à sortir de ce qui est
limité et non définitif ; il nous donne le courage d’agir et de persévérer
dans la recherche du bien de tous, même s’il ne se réalise pas
immédiatement, même si ce que nous-mêmes, les autorités politiques, ainsi
que les acteurs économiques réussissons à faire est toujours inférieur à ce
à quoi nous aspirons. [158] Dieu nous donne la force de lutter et de souffrir par
amour du bien commun, parce qu’Il est notre Tout, notre plus grande
espérance.
Le développement a besoin de chrétiens qui ont les mains tendues vers Dieu
dans un geste de prière, conscients du fait que l’amour riche de vérité,
caritas in veritate, d’où procède l’authentique développement, n’est pas
produit par nous, mais nous est donné. C’est pourquoi, même dans les moments
les plus difficiles et les situations les plus complexes, nous devons non
seulement réagir en conscience, mais aussi et surtout nous référer à son
amour. Le développement suppose une attention à la vie spirituelle, une
sérieuse considération des expériences de confiance en Dieu, de fraternité
spirituelle dans le Christ, de remise de soi à la Providence et à la
Miséricorde divine, d’amour et de pardon, de renoncement à soi-même,
d’accueil du prochain, de justice et de paix. Tout cela est indispensable
pour transformer les «cœurs de pierre » en « cœurs de chair » (Ez 36, 26),
au point de rendre la vie sur terre « divine » et, par conséquent, plus
digne de l’homme. Tout cela vient à la fois de l’homme, parce que l’homme
est le sujet de son existence, et de Dieu, parce que Dieu est au principe et
à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui libère: « Le monde et la vie
et la mort, le présent et l’avenir: tout est à vous ! Mais vous êtes au
Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22-23). Le chrétien désire
ardemment que toute la famille humaine puisse appeler Dieu « Notre Père ! ».
Avec le Fils unique, puissent tous les hommes apprendre à prier le Père et à
Lui demander, avec les mots que Jésus lui-même nous a enseignés, de savoir
Le sanctifier en vivant selon Sa volonté, et ensuite d’avoir le pain
quotidien nécessaire, d’être compréhensifs et généreux à l’égard de leurs
débiteurs, de ne pas être mis à l’épreuve à l’excès et d’être délivrés du
mal (cf. Mt 6, 9-13) !
Au terme de l’Année Paulinienne, il me plaît d’exprimer ce vœu avec les
paroles mêmes de l’Apôtre dans sa Lettre aux Romains: « Que votre amour soit
sans hypocrisie. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. Soyez
unis les uns les autres par l’affection fraternelle, rivalisez de respect
les uns pour les autres » (12, 9-10). Que la Vierge Marie, proclamée par
Paul VI Mère de l’Église et honorée par le peuple chrétien comme Miroir de
la justice et Reine de la paix, nous protège et nous obtienne, par son
intercession céleste, la force, l’espérance et la joie nécessaires pour
continuer à nous dévouer généreusement à la réalisation du « développement
de tout l’homme et de tous les hommes » ! ![159]
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 29 juin 2009, fête des saints Apôtres
Pierre et Paul, en la cinquième année de mon pontificat.
Notes :
[150] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars
1967), n. 41: loc. cit., 277-278; DC 64 (1967) col. 688; cf. Conc. œcum.
Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes,
n. 57, § 4.
[151] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n.
5: loc. cit., 586-589; DC 78 (1981) p. 838.
[152] Cf. PaulVI, Lett. ap. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 29: loc.
cit., 420; DC 68 (1971) p. 508.
[153] Cf. Benoît XVI, Discours aux participants du IVe Congrès ecclésial
national italien, Vérone, 19 octobre 2006; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp.
3-5 ; Id. Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne, 12
septembre 2006, 12 septembre 2006; DC 103 (2006) pp. 921-923.
[154] Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas
personae sur quelques questions de bioéthique (8 septembre 2008): AAS 100
(2008), 858-887; DC 104 (2009) pp. 23-38.
[155] Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 3:
loc. cit., 258. DC 64 (1967) col. 675.
[156] Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce
temps Gaudium et Spes, n. 14.
[157] Cf. n. 42: loc. cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.
[158] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Spe salvi (30 novembre 2007), n. 35: loc.
cit., 1013-1014; DC 105 (2008) pp. 29-30.
[159] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 42: loc.
cit., 278; DC 64 (1967) col. 689.
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Caritas in Veritate
Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
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