Benoît XVI a renvoyé le 3e brouillon
de l'Encyclique Sociale, il n'est pas satisfait |
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Rome, le 05 décembre 2008 -
(E.S.M.)
- Le fait est que trois brouillons successifs de la nouvelle
encyclique sociale sont déjà arrivés sur le bureau de Benoît XVI. Les
trois fois, le pape les a renvoyés : il n’était pas satisfait.
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Le Christ lavant les
pieds à Pierre et aux autres apôtres. Détail d’une mosaïque de Marko Ivan
Rupnik, à la chapelle pontificale "Redemptoris Mater", au Palais Apostolique
du Vatican.
Benoît XVI a renvoyé le 3e brouillon de l'Encyclique Sociale, il n'est pas
satisfait
L'encyclique sur la doctrine sociale peut attendre. Pas le pari sur les pays
pauvres
C'est celui que propose Ettore Gotti Tedeschi en une du journal du Vatican :
financer la consommation et les investissements de deux ou trois milliards
d’êtres humains qui n'attendent que d'améliorer leur vie. L'exemple du microcrédit
A intervalles réguliers, on entend reparler d’une prochaine encyclique de
Benoît XVI consacrée, cette fois, à la doctrine sociale de l’Église.
Ces bruits ne sont pas sans fondement. La dernière encyclique
socio-économique –"Centesimus
Annus" de Jean-Paul II – date de 1991 et
beaucoup, à la curie, la trouvent vieillie. Les services du Vatican qui
travaillent le plus sur ce sujet, en particulier le conseil pontifical
"Justice et Paix", présidé par le cardinal Renato Martino, se sont fait un
point d'honneur d’arracher du pape un document plus dans l’air du temps.
En réalité, plutôt que vieillie, "Centesimus
Annus" n’a jamais été vraiment
acceptée par le monde et la hiérarchie catholiques. Elle a été jugée trop
pro-capitaliste et bien des gens voient dans l’effondrement actuel de
l'économie mondiale une confirmation de ce jugement négatif.
Le fait est que trois brouillons successifs de la nouvelle encyclique
sociale sont déjà arrivés sur le bureau de Benoît XVI. Les trois fois, le
pape les a renvoyés: il n’était pas satisfait.
Le théologien Ratzinger ne s’est occupé que marginalement de doctrine
sociale et de questions économiques. Devenu pape, il a consacré sa première
encyclique à la charité, la deuxième à l’espérance. On peut penser que, par
souci de cohérence, il va consacrer la troisième à la foi plutôt qu’à la
doctrine sociale.
D'autre part, on trouve déjà des éléments de doctrine sociale dans la
seconde partie de "Deus
Caritas Est", celle où l’on sent le plus le travail des bureaux du
Vatican. En revanche, la première partie de "Deus
Caritas Est" et la totalité de "Spe
Salvi"sont entièrement ratzingeriennes. On voit
mal Benoît XVI signer une troisième encyclique qui ne dise rien d’original
et ne porte pas sa très forte empreinte personnelle.
De plus, il ne faut pas négliger l'effet de surprise. Personne ne
s’attendait à "Spe
Salvi". Le pape l’a écrite tout seul et il l’a promulguée
sans même demander un "editing" à la curie. Rien n’empêche que sa prochaine
encyclique soit aussi un "hors programme".
Ne faut-il donc rien attendre du Saint-Siège, à brève échéance, à propos de
questions qui sont tout de même au cœur des bouleversements actuels de
l'économie mondiale ?
Oui et non. Il faut être prudent quant à l'arrivée imminente d’une
encyclique pontificale. Mais, plus bas dans la hiérarchie, le Vatican n’est
pas muet.
Le 22 novembre dernier, par exemple, le conseil pontifical "Justice et Paix"
a publié sur deux pleines
pages de "L'Osservatore Romano" un document sur la
finance et le développement. Ce très long document, ambitieusement intitulé
"Un nouvel accord pour refonder le système financier international", a été
présenté comme préparant la conférence organisée par les Nations Unies à
Doha du 29 novembre au 2 décembre 2008.
Mais le destin de ces documents de la curie est de ne laisser aucune trace.
Presque personne ne les lit et ceux qui le font doivent résister à l’envie
de bâiller.
Le Saint-Siège a aussi un autre moyen d’expression, plus efficace. Depuis
quelques mois "L'Osservatore Romano" a recours à un chroniqueur de premier
ordre pour parler de l'économie mondiale : Ettore Gotti Tedeschi, économiste
et banquier, président en Italie de Banco Santander Central Hispano.
Gotti Tedeschi est catholique mais pas homme de curie. En fait, une grande
partie de la curie le regarde avec une distance critique. Il écrit sous sa
propre responsabilité mais ses textes font vraiment réfléchir. Il est lucide
dans l’analyse et original dans les solutions qu’il propose. En somme, ses
petites colonnes ont bien plus d’impact que de longs documents insipides.
On en trouvera ci-dessous une preuve : la note qu’il a publiée, jeudi 4
décembre, en une du journal du pape :
Développement et crise financière. La bulle qui nous sauvera
par Ettore Gotti Tedeschi
Aux États-Unis on envisage, pour résorber la bulle financière qui menace le
monde entier, d’en créer une autre – peut-être liée à l'énergie ou au marché
automobile – avec les seules liquidités disponibles, celles de la Chine. Il
est probable que cette nouvelle bulle ignorera encore plus la partie du
monde qui n’a pas accès au bien-être. On pourrait, au contraire, lancer un
processus économique créatif de dimension planétaire qui rétablirait une
croissance plus durable. Autrement dit, une bulle de solidarité qui
impliquerait les pays pauvres. Une bulle humanitaire qui corrigerait
l'erreur de l’autre bulle, celle du développement égoïste, fruit de la crise
des valeurs humaines.
Les phénomènes économiques les plus préoccupants sont aujourd’hui, avec la
crise des liquidités, la difficulté d’accès au crédit due aux perspectives
de récession; l'évolution négative des bourses; la chute de la demande et de
la consommation; la surcapacité de production inutilisée qui en résulte et
l’augmentation des coûts fixes non absorbés; le spectre du chômage. Comment
peut-on rétablir l'équilibre entre la productivité, l’emploi et le pouvoir
d’achat qui en découle, en soutenant l'activité des sociétés cotées en
bourse ?
Il y a une réponse courageuse et à long terme : c’est de
valoriser la demande
potentielle des pays pauvres en leur donnant la possibilité de participer au
plan d’assainissement mondial à travers cette demande inexprimée. Une
demande qu’il faudra soutenir et financer totalement. C’est bien un projet
de bulle humanitaire. Reste le problème de son financement.
La bulle financière soutenue récemment encore aux États-unis – celle des
crédits "subprime" – était basée sur l’espoir d’une hausse du revenu et sur
la croissance de la valeur immobilière, mais avec une sous-évaluation du
risque. La bulle humanitaire pourrait aussi être basée sur l’espoir d’une
hausse du revenu et de la valeur des investissements dans des pays peuplés
de gens désireux de progresser et pleins de dignité. L'Asie a les
liquidités, les États-unis a la technologie, l'Europe a du cœur, des idées
et des projets de PME, les pays pauvres ont deux ou trois milliards de
candidats au progrès économique sur qui investir dans une optique à long
terme.
Alors pourquoi ne pas envisager - au lieu d’une autre bulle corrective,
égoïste et à court terme - une bulle solidaire à long terme qui génèrerait
une augmentation de la production et de l’emploi en finançant la
consommation et les investissements dans les pays pauvres ? Qui permettrait à
quelque trois milliards d’êtres humains de participer, dans quelques années,
à la croissance du système économique tout entier ? Des gens prêts tout de
suite à exprimer une demande essentielle pour l'Occident et à s’impliquer
dans des projets d’infrastructures et de production, des projets de
formation professionnelle et de connaissance scientifique.
Ce projet suppose des financements à long terme et à taux très bas, ce qui
représente le plus gros effort pour les gouvernements. Mais les
gouvernements qui ont garanti les crédits "subprime" pourront facilement
garantir des ouvrages d’infrastructure; avec un petit effort, ils pourront
garantir des entreprises de production qui seront créées en joint-venture
(entreprise commune)
dans les pays pauvres et dans des secteurs-clés comme l’alimentaire. Un
exemple de réussite est la
Grameen Danone food au Bangladesh. On pourrait
concevoir et réaliser des écoles et des banques en joint-venture. On
pourrait investir surtout dans internet et dans le commerce par courrier
électronique, pour aider ces populations à entrer directement dans le
circuit commercial avec leurs produits, contrôlables qualitativement.
Au moment où nous devenons plus pauvres, le soutien aux vrais pays pauvres
aura un coût relatif mais il rapportera énormément. Combien a coûté la bulle
des crédits "subprime" rien qu’aux États-Unis ? Dix trillions de dollars ?
D’autre part, combien a-t-on investi, au cours des dix dernières années,
dans les pays pauvres pour les faire participer à la croissance économique
?
Aujourd’hui nous sommes heureux que la riche Chine – l'Occident l’a aidée à
se développer économiquement – participe à la solution de la crise globale,
mais on peut imaginer un avenir où l’Afrique, le sud-est asiatique ou
l’Amérique latine seraient riches.
Aux objections relatives au manque de fonds et aux risques excessifs on peut
opposer les expériences de Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, sur le
microcrédit : le risque est faible chez les peuples pauvres, qui donnent en
garantie un bien plus précieux : leur propre vie. Les vraies bulles, les
négatives, se forment quand on fausse les prix et les conditions de marché,
pas quand on soutient l'entrée progressive de milliards de gens dans le
circuit économique. Ils seraient pour nous une richesse, y compris au plan
moral. Une bulle solidaire donc, une bulle humanitaire sans aucun risque,
mais qui pourrait, au contraire, nous sauver.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 05.12.2008 -
T/Encyclique sociale |