Benoît XVI : De la parole annoncée à la prise de
risque
Le 05 février 2023 -
(E.S.M.)
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Pour les membres du Sanhédrin cela devait apparaître politiquement
privé de sens et théologiquement inacceptable, puisque, de fait, une
proximité de la « Puissance », une participation à la nature même de
Dieu était alors exprimée, et cela était considéré comme un
blasphème. Pourtant Jésus n'avait fait que mettre en relation
certaines paroles de l'Écriture et avait exprimé sa mission « selon
les Écritures », avec les paroles mêmes de l'Écriture. Mais pour les
membres du Sanhédrin, à l'évidence, cette application des paroles
sublimes de l'Écriture à Jésus apparut comme une attaque
insupportable à la grandeur de Dieu, à son unicité.
Jésus devant le Sanhédrin-
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Benoît : De la parole annoncée à la prise de risque
Jésus devant le Sanhédrin
La décision fondamentale pour un procès contre Jésus, prise lors de
la réunion du Sanhédrin, fut mise à exécution, avec
son arrestation, dans la nuit du jeudi au vendredi, sur le Mont des
Oliviers. Alors qu'on était encore en pleine nuit, Jésus fut conduit dans le
palais du grand prêtre, où le Sanhédrin (sanhédrin/synedrium) avec
ses trois composantes - prêtres, anciens, scribes -, était évidemment déjà
réuni.
Les deux « procès » contre Jésus, devant le Sanhédrin et devant le
gouverneur romain Pilate, ont fait l'objet d'abondantes discussions jusque
dans les moindres détails de la part d'historiens du droit et d'exégètes.
Nous ne voulons pas ici entrer dans ces questions historiques subtiles,
d'autant plus que nous ne connaissons pas - comme l'a montré Martin Hengel -
les détails du droit criminel sadducéen et qu'il n'est pas permis de tirer
des conclusions à partir du traité postérieur de la Mishna, «
Sanhédrin », pour les appliquer à l'usage du temps de Jésus (cf. Hengel/Schwemer,
p. 592). Aujourd'hui, on peut considérer comme vraisemblable, que dans le
cas de l'audience contre Jésus devant le Sanhédrin, il ne s'agissait pas
d'un procès véritable, mais d'un interrogatoire approfondi, qui s'est achevé
par la décision de livrer Jésus au gouverneur romain pour la condamnation.
Regardons maintenant de plus près les récits des Évangiles, gardant toujours
l'objectif d'apprendre à mieux connaître et à mieux comprendre la figure de
Jésus même. Nous avons déjà vu que, après l'épisode de la purification du
Temple, deux accusations contre Jésus circulaient: la première concernait
l'interprétation de l'action symbolique de chasser du Temple les animaux et
les commerçants, qui semblait être une attaque contre le lieu sacré lui-même
et par là contre la Torah sur laquelle était fondée la vie d'Israël.
Je tiens pour important le fait que ce n'est pas l'acte de la purification
du Temple comme tel qui a été l'objet de discussions, mais uniquement
l'interprétation que le Seigneur en a donnée pour expliquer son geste. On
peut déduire de ce fait que l'acte symbolique est resté contenu dans
certaines limites et n'a pas suscité une agitation publique, qui aurait
offert un motif pour une intervention juridictionnelle. Le danger venait
plutôt de l'interprétation donnée, de l'apparente attaque contre le Temple
et de la revendication par Jésus lui-même de sa pleine autorité.
D'après les Actes des Apôtres, nous savons que la même accusation fut
portée contre Étienne, qui avait repris la prophétie de Jésus sur le Temple
— ce qui provoqua sa lapidation, parce que cela était considéré comme un
blasphème. Dans le procès de Jésus, des témoins se sont présentés qui
voulaient rapporter les paroles de Jésus. Mais il n'y avait pas de versions
concordantes : il n'était pas possible d'éclaircir de manière indiscutable
ce que Jésus avait vraiment dit. Le fait que, en conséquence, ce point
d'accusation ait été abandonné, montre que l'on s'efforçait de mettre en
œuvre une procédure juridiquement correcte.
À partir des discours de Jésus dans le Temple, il y avait dans l'air une
seconde accusation: Jésus aurait soulevé une prétention messianique, par
laquelle il se mettait en quelque manière aux côtés de Dieu lui-même, et
semblait ainsi entrer en conflit avec le fondement de la foi d'Israël, la
profession de foi dans le seul et unique Dieu. Il est intéressant de
souligner que ces deux accusations sont l'une et l'autre de nature purement
théologique. Mais conformément à l'impossibilité évoquée plus haut d'arriver
à séparer l'un de l'autre le niveau religieux et le niveau politique, de
telles accusations avaient aussi une dimension politique : le Temple en tant
que lieu du sacrifice d'Israël, vers lequel tout le peuple se dirige en
pèlerinage au moment des grandes fêtes, est la base de l'unité intérieure
d'Israël. La prétention messianique est une revendication de royauté sur
Israël. C'est pourquoi l'expression « Roi des juifs » sera ensuite aussi
inscrite sur la Croix comme motif de l'exécution capitale de Jésus.
Comme le montrèrent les événements de la guerre juive, il existait sûrement
au sein du Sanhédrin des cercles qui étaient favorables à une libération
d'Israël par des moyens politiques et militaires. Mais la manière dont Jésus
présentait sa revendication leur apparaissait évidemment comme peu adaptée
pour servir vraiment un tel but. Dans ce cas, il était préférable d'opter
plutôt pour le statu quo, dans lequel Rome respectait au moins les
fondements religieux d'Israël et, ainsi, le Temple et le peuple pouvaient
être considérés comme assez sûrs de leur subsistance.
Après la vaine tentative de présenter, à partir de la déclaration de Jésus
concernant la destruction et le renouvellement du Temple, une accusation
nette et motivée contre lui, on arrive à la confrontation dramatique entre
le grand prêtre d'Israël en charge, instance suprême du peuple élu, et
Jésus, en qui les chrétiens reconnaîtraient « le grand prêtre des biens à
venir » (He 9,11), le grand prêtre pour l'éternité « selon l'ordre de
Melchisédech » (Ps 110,4; He 5,6 etc.).
Dans les quatre Évangiles, ce moment de l'histoire du monde apparaît comme
un drame où se compénètrent trois niveaux, qu'il faut voir ensemble pour
comprendre l'événement dans sa complexité (cf. Mt 26,57-75 ; Mc
14,53-72 ; Lc 22,54-71 ; Jn 18,12-27). Au moment même où
Caïphe interroge Jésus et lui pose finalement la question sur son identité
messianique, Pierre est assis dans la cour du palais et renie Jésus. Jean a
spécialement montré l'entrelacement chronologique des deux événements de
manière touchante ; Matthieu, dans sa version de la question messianique,
rend visible surtout la connexion intérieure entre la profession de Jésus et
le reniement de Pierre. Mais, en relation immédiate avec l'interrogatoire de
Jésus se placent aussi les outrages contre lui de la part des serviteurs du
Temple (ou des membres mêmes du Sanhédrin ?), outrages qui, dans le procès
devant Pilate, seront suivis de ceux infligés par les soldats romains.
Nous voici arrivés au point décisif : à la question posée par Caïphe et à la
réponse de Jésus. En rapportant leurs formulations, Matthieu, Marc et Luc
divergent entre eux au niveau des détails. Leur composition du texte est
déterminée, entre autres, par tout le contexte de leur Évangile et par leur
souci des possibilités de compréhension de leurs destinataires. Comme dans
le cas des paroles de la dernière Cène, là aussi, il n'est pas possible de
faire une reconstitution précise de la question de Caïphe et de la réponse
de Jésus. L'essentiel du déroulement apparaît toutefois de manière
absolument indiscutable dans les trois relations différentes. Il y a de bons
motifs de penser que la version de saint Marc nous permet de saisir
davantage ce qu'était l'expression originaire de ce dialogue dramatique.
Mais, dans la version différente de Matthieu et de Luc, apparaissent des
aspects importants qui nous aident à mieux comprendre la profondeur de
l'ensemble.
Selon Marc, la question du grand prêtre est : «
Tu es le Christ, le Fils du Béni ? » Jésus
répond : « Je le suis, et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la
droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel » (14,62). Le fait
que le nom de Dieu et le mot « Dieu » soit évités et remplacés par les
expressions « le Béni » et « la Puissance » montre que nous sommes en
présence d'un texte original. Le grand prêtre interroge Jésus sur sa
messianité et il la définit à partir du Psaume 2,7 (cf. PS
110,3) par l'expression « Fils du Béni » - Fils de Dieu. Dans la perspective
de la question, cette appellation appartient à la tradition messianique,
tout en laissant ouvert le type de filiation. On peut supposer que Caïphe,
en posant cette question, ne s'en est pas seulement tenu à des traditions
théologiques, mais qu'il l'a formulée en se référant à l'annonce de Jésus
telle qu'elle était parvenue à ses oreilles.
Matthieu met dans la formulation de la question un accent particulier. Selon
lui, Caïphe dit : « Es-tu le Christ, le Fils de Dieu
? » (cf. 26,63). De cette manière il fait écho directement à la profession
de foi de Pierre dans la région de Césarée de Philippe: « Tu es le Christ,
le Fils du Dieu vivant » (16,16). Au moment même où le grand prêtre adresse
à Jésus, sous la forme d'une question, les paroles de la profession de foi
de Pierre, Pierre lui-même, séparé de Jésus par une simple porte, dit qu'il
ne le connaît pas. Tandis que Jésus rend « son beau témoignage » (I Tm
6,13), celui qui, le premier, avait prononcé une telle profession nie ce
qu'alors il avait reçu du « Père qui est dans les cieux » ; maintenant la
source de ses paroles n'est plus que « la chair et le sang » (cf. Mt
16,17).
Selon Marc, à la question dont dépendait son destin, Jésus répond de manière
très simple et claire: « Je le suis »
(n'entendons-nous pas résonner ici Exode 3,14: « Je suis celui qui
est » ?). Cependant, avec une parole extraite du Psaume 110,1 et du
Livre de Daniel 7,13, Jésus définit ensuite plus précisément comment il
faut comprendre messianité et filiation. Matthieu exprime la réponse de
Jésus de manière plus discrète : « Tu l'as dit. D'ailleurs, je vous le
déclare... » (26,64). Ainsi, Jésus ne contredit pas Caïphe; toutefois, il
oppose à sa formulation la manière dont lui-même entend que l'on comprenne
sa mission - et il le fait en utilisant les paroles de l'Écriture. Luc,
enfin, distingue deux interventions différentes (cf. 22,67-70). À la
première requête du Sanhédrin : « Si tu es le Christ, dis-le-nous », le
Seigneur répond par une affirmation énigmatique, qui n'acquiesce pas
ouvertement, mais qui ne nie pas non plus clairement. Puis vient sa
déclaration personnelle, formulée à partir du Psaume 110 et de
Daniel 7 entremêlés; et finalement, devant l'insistance du Sanhédrin qui
demande: « Tu es donc le Fils de Dieu ! », il
répond : « Vous le dites : je le suis. »
II dérive donc de tout cela ce qui suit : Jésus a accepté le titre de Messie
qui avait diverses significations selon la tradition, mais en même temps, il
l'a précisé d'une manière telle qu'il provoquait une condamnation qu'il
aurait pu éviter par un refus ou une interprétation atténuée du messianisme.
Il ne donne aucune place à des idées qui pourraient conduire à une
compréhension politique ou agressive de l'activité du Messie. Non, le Messie
- lui-même - viendra comme Fils de l'homme sur les nuées du ciel.
Objectivement, cela a plus ou moins la même signification que l'affirmation
que nous trouvons en Jean : « Mon royaume n'est pas de ce monde » (18,36).
Il revendique le droit de siéger à la droite de la Puissance, c'est-à-dire
de venir à la manière du Fils de l'homme dont parle le Livre de Daniel,
de venir de Dieu, pour ériger à partir de lui le Royaume définitif.
Pour les membres du Sanhédrin cela devait apparaître
politiquement privé de sens et théologiquement inacceptable, puisque, de
fait, une proximité de la « Puissance », une participation à la nature même
de Dieu était alors exprimée, et cela était considéré comme un blasphème.
Pourtant Jésus n'avait fait que mettre en relation certaines paroles de
l'Écriture et avait exprimé sa mission « selon les Écritures », avec les
paroles mêmes de l'Écriture. Mais pour les membres du Sanhédrin, à
l'évidence, cette application des paroles sublimes de l'Écriture à Jésus
apparut comme une attaque insupportable à la grandeur de Dieu, à son
unicité.
Aux yeux du grand prêtre et des autres avec lui, la matérialité du blasphème
était de fait avérée par la réponse de Jésus et Caïphe « déchira ses
vêtements en disant : "II a blasphémé!" » (Mt 26,65). « L'acte de
déchirer ses vêtements accompli par le Grand Prêtre n'est pas dû à un
mouvement d'irritation, mais il est prescrit au juge en charge comme signe
d'indignation quand il entend proférer un blasphème » (Gnilka,
Matthâusevangelium II, p. 429). Maintenant s'abattent sur Jésus, qui a
prédit sa venue dans la gloire, les outrages brutaux de ceux qui se savent
les plus forts et qui lui font sentir leur pouvoir et tout leur mépris.
Celui dont ils avaient eu peur, peu de jours auparavant encore, est
maintenant entre leurs mains. L'ignoble conformisme
d'âmes faibles se sent fort pour agresser celui qui semble dès lors être
seulement impuissance.
Ils ne se rendent pas compte que, justement en le tournant en dérision et en
le frappant, ils accomplissent à la lettre, en Jésus, le destin du Serviteur
de Dieu (cf. Gnilka, p. 430) : humiliation et exaltation s'entremêlent d'une
manière mystérieuse. C'est justement parce qu'il est frappé, qu'il est le
Fils de l'homme, qu'il vient de Dieu dans la nuée ténébreuse et qu'il
établit le Royaume du Fils de l'homme, le Règne de la bienveillance humaine
qui vient de Dieu. « Dorénavant, vous verrez... » avait dit Jésus, selon
Matthieu (26,64), en un paradoxe irritant. Dorénavant - quelque chose de
nouveau commence. Tout au long de l'histoire, les hommes regardent le visage
déformé de Jésus et reconnaissent précisément en lui la gloire de Dieu.
En ce même moment, Pierre affirme pour la troisième fois qu'il n'a rien à
voir avec Jésus. « Et aussitôt, pour la seconde fois, un coq chanta. Et
Pierre se ressouvint... » (Mc 14,72). Le chant du coq était considéré
comme la fin de la nuit : il inaugurait la journée. Pour Pierre aussi, le
chant du coq marque la fin de la nuit de l'âme dans laquelle il avait
sombré. Tout à coup, la parole de Jésus à propos de son reniement avant le
chant du coq, s'impose à lui de nouveau et maintenant dans toute sa terrible
vérité. Luc ajoute en outre la précision que, à cet instant, Jésus, enchaîné
et condamné, est emmené pour être présenté devant le tribunal de Pilate.
Jésus et Pierre se rencontrent. Le regard de Jésus plonge dans les yeux et
dans l'âme du disciple infidèle. Et Pierre, « sortant dehors, pleura
amèrement » (Lc 22,62).
Avant-propos - Jésus de
Nazareth Tome II
Et Table des chapitres 1 à 5 º
Benoît XVI
Chapitre 6
1. En marche vers le Mont des Oliviers
º
Benoît XVI
2. La prière du Seigneur º
Benoît XVI
3. La volonté de Jésus et la volonté du Père
º
Benoît XVI
4. La prière de Jésus sur le Mont des Oliviers, dans
la Lettre aux Hébreux º
Benoît XVI
Chapitre 7
Le procès de Jésus º
Benoît XVI
1. Le débat préliminaire au Sanhédrin º
Benoît XVI
2. Jésus devant le Sanhédrin º
Benoît XVI
3. Jésus devant Pilate º
Chapitre 8
Le crucifiement et la mise au tombeau de Jésus
º
1. Réflexion préliminaire : parole et événement
dans le récit de la Passion
º
2. Jésus en Croix º
La première parole de Jésus en
Croix :
« Père, pardonne-leur »
º
Jésus outragé
º
Le cri d'abandon de Jésus
º
Le tirage au sort des
vêtements º
« J'ai soif »
Les femmes près de la Croix —
la Mère de Jésus º
Jésus meurt sur la Croix
º
La mise au tombeau de Jésus
º
3. La mort de Jésus comme réconciliation
(expiation) et salut
º
Chapitre 9
La Résurrection de Jésus d'entre les morts
º
1. Ce qui est enjeu dans la Résurrection de Jésus
º
2. Les deux différents types de témoignage
de la Résurrection
º
2.1 La tradition sous forme de
profession º
La mort de Jésus
º
La question du
tombeau vide º
Le troisième
jour º
Les témoins
º
2.2 La tradition sous forme de
narration º
Les apparitions
de Jésus à Paul º
Les apparitions
de Jésus dans les Évangiles º
3. Résumé : la nature de la Résurrection
et sa signification historique
º
Perspective
II est monté au ciel - il siège à la droite
de Dieu le Père et il reviendra dans la gloire
º
- Prochainement la suite des liens -
Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 02.02.2023