Discours de Benoît XVI au tribunal de
la Rote
Cité du Vatican, le 05 février 2008 -
(E.S.M.) - Le Vatican publie
aujourd'hui en français le discours du pape Benoît XVI à la Rote
Romaine, dans lequel le Saint-Père rappelle l'anniversaire du premier
centenaire du rétablissement du Tribunal apostolique de la Rote romaine,
décidé par saint Pie X en 1908.
Le pape Benoît XVI -
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Discours de Benoît XVI au tribunal de la Rote
Texte intégral du discours du Saint-Père
DISCOURS DU PAPE BENOÎT XVI
AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE
À L'OCCASION DE L’INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE
Salle Clémentine
Très chers Prélats auditeurs,
Chers collaborateurs du Tribunal de la Rote romaine!
L'anniversaire du premier centenaire du rétablissement du Tribunal
apostolique de la Rote romaine, décidé par saint Pie X en 1908 à travers la
Constitution apostolique Sapienti consilio, vient d'être rappelé par les
paroles cordiales de votre Doyen, Mgr Antoni Stankiewicz. Cette circonstance
rend encore plus vifs les sentiments d'appréciation et de gratitude avec
lesquels je vous rencontre déjà pour la troisième fois. J'adresse mon salut
cordial à tous et à chacun de vous. En vous, chers Prélats auditeurs, et
également chez tous ceux qui participent de différentes manières à
l'activité de ce Tribunal, je vois la personnification d'une institution du
Siège apostolique dont l'enracinement dans la tradition canonique se révèle
une source de vitalité constante. C'est à vous que revient la tâche de
conserver cette tradition vivante, avec la conviction de rendre ainsi un
service toujours actuel à l'administration de la justice dans l'Eglise.
Ce centenaire est une occasion propice pour réfléchir sur un aspect
fondamental de l'activité de la Rote, c'est-à-dire sur la valeur de la
jurisprudence de la Rote dans l'ensemble de l'administration de la justice
dans l'Eglise. C'est un aspect qui est mis en évidence par la description
que la Constitution apostolique
Pastor Bonus,
fait de la Rote: "Ce Tribunal fonctionne ordinairement comme instance
supérieure d'appel auprès du Siège apostolique pour protéger les droits dans
l'Eglise; il veille à l'unité de la jurisprudence et par ses sentences, il
aide les tribunaux de grade inférieur" (art. 126). Dans leurs discours
annuels, mes bien-aimés prédécesseurs parlèrent souvent avec satisfaction et
confiance de la jurisprudence de la Rote romaine, aussi bien de manière
générale qu'en référence à des thèmes concrets, en particulier matrimoniaux.
S'il est juste de devoir rappeler le ministère de justice accompli par la
Rote au cours de son existence pluriséculaire, et en particulier au cours
des cent dernières années, il apparaît également opportun, en cet
anniversaire, de chercher à approfondir le sens de ce service, dont les
volumes annuels rassemblant les décisions sont une manifestation et sont,
dans le même temps, un instrument pratique. Nous pouvons en particulier nous
demander pourquoi les sentences de la Rote possèdent une importance
juridique qui dépasse le cadre direct des causes au sujet desquelles elles
sont prononcées. En dehors de la valeur formelle que chaque organisation
juridique peut attribuer aux précédents judiciaires, il ne fait aucun doute
que les décisions particulières concernent d'une certaine manière la société
tout entière. En effet, celles-ci déterminent ce que tous peuvent attendre
des tribunaux, ce qui influence certainement le cours de la vie sociale.
N'importe quel système judiciaire doit chercher à offrir des solutions dans
lesquelles, en même temps que l'évaluation prudente des cas dans leur
singularité concrète, soient appliquées les mêmes principes et les mêmes
normes générales de justice. Ce n'est que de cette façon que se crée un
climat de confiance dans l'action des tribunaux et que l'on évite le
caractère arbitraire des critères subjectifs. En outre, au sein de toute
organisation judiciaire il existe une hiérarchie entre les divers tribunaux,
de façon à ce que la possibilité même de recourir aux tribunaux supérieurs
constitue en soi un instrument d'unification du droit.
Les considérations qui viennent d'être présentées sont également
parfaitement applicables aux tribunaux ecclésiastiques. Etant donné que les
procès canoniques concernent les aspects juridiques des biens salvifiques ou
d'autres biens temporels qui servent à la mission de l'Eglise, le besoin
d'unité dans les critères essentiels de justice et la nécessité de pouvoir
prévoir raisonnablement le sens des décisions judiciaires, deviennent même
un bien ecclésial public d'une importance particulière pour la vie interne
du Peuple de Dieu et pour son témoignage institutionnel dans le monde. Outre
la valeur intrinsèquement raisonnable inhérente à l'œuvre d'un Tribunal qui
prend généralement des décisions en dernière instance dans les procès, il
est clair que la valeur de la jurisprudence de la Rote romaine dépend de sa
nature d'instance supérieure dans le degré d'appel auprès du Siège
apostolique. Les dispositions juridiques qui reconnaissent cette valeur
(cf. can.19 du Code de Droit canonique; Const ap.
Pastor Bonus,
art. 126), ne créent pas, mais déclarent cette valeur. Elle
provient en définitive de la nécessité d'administrer la justice selon des
paramètres égaux dans tout ce qui est, précisément, en soi essentiellement
égal.
En conséquence, la valeur de la jurisprudence de la Rote n'est pas une
question de fait d'ordre sociologique, mais elle est de caractère proprement
juridique, dans la mesure où elle se place au service de l'essence de la
justice. C'est pourquoi il serait inopportun de constater une opposition
entre la jurisprudence de la Rote et les décisions des tribunaux locaux, qui
sont appelés à accomplir une fonction indispensable, en rendant
immédiatement accessible l'administration de la justice, et en pouvant
enquêter et résoudre les cas dans leur singularité parfois liée à la culture
et à la mentalité des peuples. Toutefois, toutes les sentences doivent
toujours être fondées sur les principes et sur les normes communes de la
justice. Ce besoin, commun à toute organisation juridique, revêt dans
l'Eglise une importance particulière, dans la mesure où sont en jeu les
exigences de la communion, qui implique la protection de ce qui est commun à
l'Eglise universelle, confiée de manière particulière à l'Autorité suprême
et aux organes qui ad normam iuris participent à sa sainte autorité.
Dans le domaine matrimonial, la jurisprudence de la Rote a accompli un
travail très important au cours de ces cent dernières années. Elle a en
particulier apporté des contributions très significatives qui ont débouché
sur la codification en vigueur. Après cela, on ne peut pas penser que
l'importance de l'interprétation du droit faisant jurisprudence de la part
de la Rote ait diminué. En effet, l'application de la loi canonique actuelle
exige précisément que l'on en saisisse le véritable sens de justice, avant
tout lié à l'essence même du mariage. La Rote romaine est sans cesse appelée
à une tâche ardue, qui influence beaucoup le travail de tous les tribunaux:
celle de saisir l'existence ou non de la réalité matrimoniale, qui est
intrinsèquement anthropologique, théologique et juridique. Pour mieux
comprendre le rôle de la jurisprudence, je voudrais insister sur ce que je
vous ai dit l'année dernière à propos de la dimension intrinsèquement
juridique du mariage (cf.
Discours du 27 janvier 2007, in AAS 99 [2007], pp. 86-91). Le
droit ne peut pas être réduit à un simple ensemble de règles positives que
les tribunaux sont appelés à appliquer. L'unique façon de fonder solidement
l'œuvre de la jurisprudence consiste à la concevoir comme un véritable
exercice de la prudentia iuris, d'une prudence qui est tout le
contraire de l'arbitraire et du relativisme, car elle permet de lire dans
les événements la présence ou l'absence du rapport spécifique de justice
qu'est le mariage, dans toute sa réalité humaine et salvifique. Ce n'est que
de cette manière que les maximes de la jurisprudence acquièrent leur
véritable valeur, et ne deviennent pas un recueil de règles abstraites et
répétitives, exposées au risque d'interprétations subjectives et
arbitraires.
C'est pourquoi l'évaluation objective des faits, à la lumière du Magistère
et du droit de l'Eglise, constitue un aspect très important de l'activité de
la Rote romaine, et influence beaucoup l'œuvre des ministres de justice des
tribunaux des Eglises locales. La jurisprudence de la Rote doit être vue
comme une œuvre exemplaire de sagesse juridique, menée sous l'autorité du
Tribunal constitué de manière stable par le Successeur de Pierre pour le
bien de toute l'Eglise. Grâce à cette œuvre, la réalité concrète dans les
causes de nullité matrimoniale est objectivement jugée à la lumière des
critères qui réaffirment constamment la réalité du mariage indissoluble,
ouverte à chaque homme et à chaque femme selon le dessein de Dieu Créateur
et Sauveur. Cela demande un effort constant pour atteindre cette unité de
critères de justice qui caractérise de manière essentielle la notion même de
jurisprudence et qui est le présupposé fondamental de son action pratique.
Dans l'Eglise, précisément en raison de son universalité et de la diversité
des cultures juridiques dans lesquelles elle est appelée à œuvrer, existe
toujours le risque que se forment, sensim sine sensu, "des
jurisprudences locales" toujours plus distantes de l'interprétation commune
des lois positives et même de la doctrine de l'Eglise sur le mariage. Je
souhaite que soient étudiés les moyens opportuns pour rendre la
jurisprudence de la Rote toujours plus réellement unitaire et effectivement
accessible à tous les agents de la justice, de manière à trouver une
application uniforme dans tous les tribunaux de l'Eglise.
C'est dans cette optique réaliste que doit aussi être comprise la valeur des
interventions du Magistère ecclésiastique sur les questions juridiques
matrimoniales, y compris les discours du Pontife Romain à la Rote romaine.
Ils constituent une orientation directe pour l'œuvre de tous les tribunaux
de l'Eglise, dans la mesure où ils enseignent de manière faisant autorité ce
qui est essentiel à propos de la réalité du mariage. Mon vénéré prédécesseur
Jean-Paul II, dans son dernier discours à la Rote, mit en garde contre la
mentalité positiviste dans la compréhension du droit, qui tend à séparer les
lois et les orientations de la jurisprudence de la doctrine de l'Eglise. Il
affirma: "En réalité, l'interprétation authentique de la Parole de Dieu,
accomplie par le magistère de l'Eglise possède une valeur juridique dans la
mesure où elle concerne le domaine du droit, sans avoir besoin d'aucun autre
passage formel supplémentaire pour devenir juridiquement et moralement
contraignante. Pour une saine herméneutique juridique, il est ensuite
indispensable de saisir l'ensemble des enseignements de l'Eglise, en plaçant
de façon organique chaque affirmation dans le cadre de la tradition. De
cette façon, on pourra échapper aussi bien à des interprétations sélectives
et déviantes qu'à des critiques stériles de certains passages"
(AAS 97 [2005], p. 166, n. 6).
Le présent centenaire est destiné à aller au-delà d'une commémoration
formelle. Il devient l'occasion d'une réflexion qui doit fortifier votre
engagement en le vivifiant par un sens ecclésial de la justice toujours plus
profond, qui est un véritable service à la communion salvifique. Je vous
encourage à prier quotidiennement pour la Rote romaine et pour tous ceux qui
œuvrent dans le domaine de l'administration de la justice dans l'Eglise, en
ayant recours à l'intercession maternelle de la Très Sainte Vierge Marie,
Speculum iustitiae. Cette invitation pourrait sembler purement pieuse et
étrangère à votre ministère: en revanche, nous ne devons pas oublier que
dans l'Eglise tout s'accomplit à travers la force de la prière, qui
transforme toute notre existence et nous remplit de l'espérance que Jésus
nous apporte. Cette prière, inséparable de l'engagement quotidien, sérieux
et compétent, apportera lumière et force, fidélité et renouveau authentique
dans la vie de cette vénérable Institution, à travers laquelle, ad normam
iuris, l'Evêque de Rome exerce sa sollicitude primatiale pour
l'administration de la justice au sein du Peuple de Dieu tout entier. C'est
pourquoi, ma Bénédiction d'aujourd'hui, pleine d'affection et de gratitude,
veut embrasser aussi bien vous tous qui êtes ici présents, que ceux qui
servent l'Eglise et les fidèles dans ce domaine dans le monde entier.
Texte original du
discours du Saint Père
º
Italien
Synthèses :
º
Benoît XVI au tribunal de la Rote - ne pas s'éloigner de la de la doctrine
de l'Eglise
º
Benoît XVI et la Jurisprudence de la Rote Romaine
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français
Sources:
www.vatican.va -
E.S.M.
© Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana - 26.01.2008
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 05.02.2008 - BENOÎT XVI