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En 2010, Benoît XVI concevait la renonciation du pape comme possible
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Le 04 novembre 2014 -
(E.S.M.)
- Peter Seewald avait posé en 2010 la question suivante au pape
Benoît XVI : peut donc imaginer une situation dans laquelle vous
jugeriez opportun un retrait du pape ?
Benoît XVI avait répondu : Oui. Quand un pape en vient à reconnaître
en toute clarté que physiquement, psychiquement et spirituellement
il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le
droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer.
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Le pape Benoît XVI
Extraits de la première partie "SIGNES DES TEMPS" - Entretien de Benoît XVI
avec Peter Seewald
1)
Dans l'intimité de Benoît XVI - 03.11.2014
2) LE SCANDALE DES ABUS SEXUELS
Le pontificat de Benoît XVI a commencé dans une
vague d'enthousiasme. « Son élection est une bonne nouvelle », déclara même
le leader des post-communistes en Italie. Le pape, dit Massimo d'Alema, « a
de la sympathie pour les gens qui possèdent intellect et culture ». Dans sa
première année de fonctions le nouveau pape rassemble presque quatre
millions de personnes sur la place Saint-Pierre, deux fois plus que ses
prédécesseurs dans leur première année. Sa première encyclique s'est vendue
à plus de trois millions d'exemplaires rien qu'en Italie. A Valence, en
Espagne, le jour de la fête de la Famille, un million de personnes ont
afflué pour prier et célébrer la fête avec le pape. Et l'affluence s'est
maintenue. « Depuis le Habemus Papam du 19 avril à Rome », écrivait
Der Spiegel, « la bienveillance de l'opinion publique pour le pape Benoît
XVI, alias Joseph Ratzinger, ne faiblit pas ».
Ce succès vous a-t-il surpris, peut-être même effrayé ?
Oui, d'un certain point de vue. Mais je le savais : cela ne vient pas de
moi. La vitalité de l'Église est devenue visible. Les souffrances de
Jean-Paul II et sa mort ont touché toute l'Église, voire toute l'humanité.
Nous nous rappelons tous comment les foules ont envahi toute la place
Saint-Pierre et tout Rome. On a ainsi créé, dans une certaine mesure, une
nouvelle conscience du pape et de l'Église, ce qui naturellement provoqua
aussi la question : qui est le nouveau pape ? Comment, après ce grand pape,
quelqu'un peut-il s'y prendre pour être écouté, pour retenir l'attention ?
J'ai donc aussi bénéficié de l'effet de la nouveauté, d'un nouveau style. À
cet égard, j'étais reconnaissant et heureux que cela continue, que
l'assentiment demeure. En même temps, j'étais surpris qu'il soit aussi
important et vivant. Mais je comprenais que c'était un effet de la
continuité interne avec le précédent pontificat et de la vitalité de
l'Église qui n'a pas décliné.
Pendant quatre ans, vous avez heureusement régné,
ce qu'une vieille formule appelle féliciter regnans. Le nouveau pape,
en autorisant la reprise de la messe tridentine, élargit l'espace
liturgique. Il désigne, dans le cadre de l'œcuménisme, le but de l'unité
complète avec l'orthodoxie, de laquelle l'Église est maintenant proche comme
elle ne l'a plus été depuis mille ans. En s'élevant contre les atteintes à
l'environnement, l'injustice et la guerre, il pourrait même avoir sa place
chez les Verts. Il s'entendrait bien avec la gauche quand il dénonce le
turbo-capitalisme, la coupure de plus en plus grande entre pauvres et
riches. On peut sentir une revitalisation de l'Église, une nouvelle
conscience de soi. Et vous réussissez ce que personne ne tenait pour
possible après un géant comme Wojtyla : une transition sans faille entre les
pontificats.
C'était naturellement un cadeau. Ce qui a aidé, c'est que tout le monde
savait que Jean-Paul II m'appréciait, que nous étions dans une profonde
entente, et que je me considérais envers lui réellement comme un débiteur
essayant, avec sa modeste stature, de poursuivre ce qu'a fait Jean-Paul II,
ce géant.
Naturellement, il y a toujours, parallèlement aux sujets qui suscitent la
contradiction et le feu croisé des critiques, des thèmes qui tiennent au
cœur du monde entier et qu'il reçoit positivement. Mon prédécesseur, grand
pionnier des droits de l'homme, de la paix, de la liberté, a toujours
rencontré sur tous ces thèmes une grande approbation. Le pape est donc
obligé aujourd'hui de s'engager partout pour la défense des droits de
l'homme, conséquence intérieure de sa foi en la création de l'homme à
l'image de Dieu et en sa vocation divine. Le pape a le devoir de combattre
pour la liberté, contre la violence et contre les menaces de guerre. Il a
intimement le devoir de lutter pour la sauvegarde de la Création, de
s'opposer à sa destruction.
Ainsi y a-t-il, selon leur nature, de nombreux thèmes qui recèlent pour
ainsi dire la moralité de la modernité. La modernité n'est certes pas
construite uniquement sur du négatif. Si c'était le cas, elle ne pourrait
pas durer longtemps. Elle porte en soi de grandes valeurs morales qui
viennent aussi et justement du christianisme, qui ne sont arrivées à la
conscience de l'humanité que grâce au christianisme. Là où elles sont
défendues — et le pape doit les défendre —, il y a accord sur de vastes
domaines.
Nous nous en réjouissons. Mais cela ne peut pas nous dissimuler que d'autres
thèmes suscitent la contradiction.
À cette époque, le théologien libéral de Munich,
Eugen Biser, vous compte d'ores et déjà « parmi les papes les plus
importants de l'Histoire ». Avec Benoît XVI, dit-il, commence une Église
dans laquelle le Christ « habite dans le cœur des hommes » en les invitant à
faire l'expérience de Dieu.
Mais soudain la page se tourne. Nous nous rappelons votre homélie pour
l'inauguration de votre pontificat, le 24 avril 2005, dans laquelle vous
disiez : « Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant
les loups. » Aviez-vous soupçonné que ce pontificat vous réserverait aussi
des passages très difficiles ?
Je l'avais pressenti. Mais tout d'abord, on devrait observer une grande
réserve envers les prescriptions faites par un pape de son vivant, qu'il
soit marquant ou non. C'est seulement plus tard, avec le recul nécessaire,
que l'on peut voir quel rang occupe dans l'Histoire un événement ou une
personne. Mais étant donné notre univers, la présence en lui de toutes ces
grandes forces de destruction, toutes les oppositions qui vivent en lui, les
menaces et les erreurs, il était évident que l'on ne resterait pas toujours
dans une ambiance sereine. Si tout le monde avait été toujours d'accord,
j'aurais dû me demander sérieusement si je proclamais réellement l'Évangile
dans sa totalité.
Lever l'excommunication des quatre évêques de la
Fraternité Saint-Pie X en janvier 2009 constitua une première rupture. Nous
aurons l'occasion d'en parler, de même que des étranges arrière-plans de
cette affaire. D'un seul coup, celui que l'on louait tellement, dont on
disait qu'il avait littéralement déclenché une « Benoît-mania », passe à
présent pour un «pape malchanceux », quelqu'un qui soulève contre lui la
moitié du monde.
Les commentaires sont catastrophiques. La Neue Zurcher Zeitung, devant une
campagne médiatique anti-pape sans précédente, est amenée à parler de «
l'agressivité inconsciente » des journalistes. Comme le remarque le
philosophe français Bernard-Henry Lévy, dès que l'on en vient à parler de
Benoît XVI « la mauvaise foi, les partis pris et, pour tout dire, la
désinformation » dominent maintenant toute discussion.
Lever l'excommunication était-ce une faute ?
Peut-être faut-il dire quelque chose au sujet de cette levée
d'excommunication. Car le nombre d'absurdités qu'on a propagées à cette
époque est incroyable, même de la part de théologiens savants. Ces quatre
évêques, contrairement à ce que l'on a maintes fois sous-entendu, n'ont pas
été excommuniés à cause de leur attitude négative envers le concile Vatican
II. Ils l'ont été, en réalité, parce qu'ils avaient été ordonnés sans mandat
pontifical. On avait donc agi ici selon la règle du droit canonique en
vigueur dans ce cas, qui figure déjà dans l'ancien droit de l'Église. Selon
ce droit, étaient frappés d'excommunication tous ceux qui ordonnaient des
évêques sans mandat pontifical, et ceux qui se faisaient ainsi sacrer. Ils
étaient donc excommuniés parce qu'ils avaient agi contre la primauté. Il y a
aujourd'hui une situation analogue en Chine, où des évêques sont également
ordonnés sans mandat pontifical et donc excommuniés. Mais voici ce qu'il en
est : quand un évêque ainsi sacré proclame qu'il reconnaît aussi bien la
primauté en général que le pape en fonctions, son excommunication est levée
parce qu'elle n'est plus fondée. C'est ainsi que nous procédons en Chine —
nous espérons ainsi dissoudre lentement le schisme — et c'est ainsi que nous
procédons dans les cas concernés ici. S'ils ont été excommuniés, c'est pour
la seule raison qu'ils ont été ordonnés sans mandat pontifical, et si leur
excommunication a été levée, c'est pour la seule raison qu'ils ont exprimé à
présent une reconnaissance du pape — même s'ils ne le suivent pas sur tous
les points.
C'est en soi un processus tout à fait normal. Je dois pourtant dire qu'ici
notre travail auprès de la presse n'a pas été à la hauteur. On n'a pas
suffisamment expliqué pourquoi ces évêques avaient été excommuniés et
pourquoi maintenant, pour des raisons purement juridiques, ils devaient être
délivrés de leur excommunication.
Dans l'opinion publique est née l'impression que
Rome agissait avec une grande indulgence envers les groupes conservateurs de
droite, tandis que les protagonistes libéraux et de gauche avaient été vite
réduits au silence.
Il s'agissait ici d'une simple situation juridique. Le concile Vatican II
n'était nullement en jeu. Pas plus que la question d'autres positions
théologiques. Avec la reconnaissance de la primauté du pape, ces évêques, du
point de vue juridique, devaient être libérés de l'excommunication, sans
qu'ils puissent pour autant exercer des fonctions dans l'Église ou que, par
exemple, leur position envers le concile Vatican II puisse être acceptée.
Il n'y a pas de traitements différents entre,
disons, les groupes de gauche ou de droite ?
Non. Tous sont liés au même droit ecclésiastique et à la même foi et ils ont
les mêmes libertés.
Nous reviendrons encore en détail sur l'affaire
Williamson. Exactement un an plus tard, les nuages les plus sombres
s'amassent sur l'église catholique. Comme surgis d'un gouffre profond,
remontent du passé à la lumière d'innombrables et inconcevables cas d'abus
sexuels commis par des prêtres et des religieux. Le nuage projette son ombre
jusque sur le siège de Pierre. Personne ne parle plus maintenant de
l'instance morale universelle qu'incarne habituellement un pape. Quelle est
vraiment la profondeur de cette crise ? Est-ce, comme on a pu le lire
parfois, l'une des plus grandes dans l'histoire de l'Église ?
Oui, c'est une grande crise, il faut le dire. Nous avons tous été
bouleversés. On aurait presque dit un cratère de volcan d'où surgissait
soudain un énorme nuage de poussière qui assombrissait et salissait tout, si
bien que toute la prêtrise apparut comme un lieu de honte et que chaque
prêtre fut soupçonné d'être l'un de ceux-là. De nombreux prêtres ont
expliqué qu'ils n'osaient même plus donner la main à un enfant, et encore
moins faire des camps de vacances avec des enfants.
Toute cette affaire ne m'a pas pris totalement au dépourvu. J'avais déjà, au
sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi, eu affaire à des cas
américains, j'avais vu aussi monter la situation en Irlande. Mais dans cet
ordre de grandeur, ce fut malgré tout un choc inouï. Depuis mon élection au
siège de Pierre, j'avais déjà été plusieurs fois confronté à des victimes
d'abus sexuels. Trois ans et demi auparavant, en octobre 2006, j'avais dans
mon allocution aux évêques d'Irlande exigé que l'on établisse la vérité sur
ce qui était arrivé dans le passé et de tout faire pour que ce genre de
crimes monstrueux ne se répète pas, pour que l'on respecte les règles de la
justice et, surtout, pour que l'on apporte une guérison à tous ceux qui ont
été victimes de ces crimes monstrueux.
Voir soudain le sacerdoce tellement sali, et ce par l'Église catholique, au
plus profond d'elle-même, il fallait réellement d'abord l'endurer. Mais il
fallait en même temps ne pas perdre de vue que le bien existe dans l'Église,
que l'on n'y trouve pas seulement ces choses effroyables.
Les cas d'abus sexuels dans le domaine de l'Église
sont pires qu'ailleurs. Qui a reçu une plus haute consécration doit aussi
satisfaire à de plus hautes exigences. Dès le début du siècle, vous l'avez
dit, on connaissait une série d'abus aux. États-Unis. Après que le rapport
Ryan eut aussi révélé en Irlande les proportions extraordinaires qu'avaient
prises les abus sexuels, l'Église s'est retrouvée devant un autre pays
ravagé. « II faudra des générations », a dit le religieux Vincent Thomey, «
pour tout remettre en état ».
En Irlande, le problème se pose sous une forme tout à fait spécifique. On a
pour ainsi dire une société catholique fermée, qui est toujours restée
fidèle à sa foi malgré des siècles d'oppression, et dans laquelle certaines
attitudes ont apparemment pu mûrir. Je ne peux pas analyser cela maintenant
en détail. Voir à présent dans une telle situation un pays qui a donné au
monde tant de missionnaires, tant de saints, qui dans l'histoire de la
mission est aussi à l'origine de notre foi en Allemagne, c'est
extraordinairement bouleversant et oppressant. Ça l'est bien sûr avant tout
pour les catholiques en Irlande même, où il y a encore beaucoup de bons
prêtres. Comment cela a pu se produire, nous devons l'examiner à fond, de
même aussi que les mesures à prendre pour que cela ne se reproduise jamais.
Vous avez raison. C'est un péché particulièrement grave, quand celui qui
doit en réalité aider l'homme à parvenir à Dieu, celui à qui un enfant, un
jeune être humain, se confie pour trouver le Seigneur, le salit et le
détourne du Seigneur. Ainsi, la foi n'est plus crédible en tant que telle,
l'Église ne peut plus se présenter de manière crédible pour proclamer le
Seigneur. Tout cela nous a choqués et me bouleverse toujours au plus profond
de moi-même. Mais le Seigneur nous a aussi dit qu'il y aura de l'ivraie dans
le blé mais que la semence, Sa semence, continuera quand même à lever. C'est
en cela que nous avons confiance.
Ce ne sont pas seulement les abus qui bouleversent.
C'est aussi la manière dont on a procédé avec eux. Les faits eux-mêmes ont
été tus et camouflés pendant des décennies. C'est une déclaration de
faillite pour une institution qui a inscrit l'amour sur sa bannière.
À ce sujet, l'archevêque de Dublin m'a dit quelque chose de très
intéressant. Il a dit que le droit pénal ecclésiastique avait fonctionné
jusqu'à la fin des années 1950 ; il n'était certes pas parfait — il y a là
beaucoup à critiquer — mais quoi qu'il en soit : il était appliqué. Mais
depuis le milieu des années 1960, il ne l'a
tout simplement plus été. La conscience dominante
affirmait que l'Église ne devait plus être l'Église du droit mais l'Église
de l'amour, elle ne devait pas punir. On avait perdu la conscience
que la punition pouvait être un acte d'amour. Il s'est
produit aussi à cette époque, chez des gens très bons, un étrange
obscurcissement de la pensée.
Aujourd'hui, nous devons de nouveau apprendre que l'amour pour le pécheur et
l'amour pour la victime sont maintenus dans un juste équilibre si je punis
le pécheur sous une forme possible et adaptée. Il y a eu dans le passé
une altération de la conscience qui a provoqué
un obscurcissement du droit et masqué la nécessité de la punition. En fin de
compte est aussi intervenu un rétrécissement du concept d'amour, qui n'est
pas seulement gentillesse et amabilité, mais qui existe aussi dans la
vérité. Et que je doive punir celui qui a péché contre le véritable amour
fait aussi partie de la vérité.
En Allemagne, l'avalanche des abus sexuels
découverts s'est déclenchée parce que l'Église elle-même s'est adressée à
l'opinion publique. Un collège de jésuites à Berlin a signalé les premiers
cas, mais très vite on a aussi révélé des crimes dans d'autres institutions,
et pas seulement catholiques. Mais pourquoi les révélations venues
d'Amérique et d'Irlande n'ont-elles pas été l'occasion de faire aussitôt des
recherches dans d'autres pays, d'entrer en relation avec des victimes — afin
de mettre hors d'état de nuire des prédateurs qui étaient peut-être encore à
l'œuvre ?
Nous avons immédiatement réagi à l'affaire américaine avec des normes
renouvelées, renforcées. En outre, la collaboration entre la justice laïque
et la justice ecclésiastique a été améliorée. Cela aurait-il été le devoir
de Rome de dire à tous les pays en particulier : Regardez s'il n'en va pas
de même chez vous ? Peut-être aurions-nous dû le faire. Pour moi en tout
cas, découvrir que ces abus existaient aussi en Allemagne, et dans de telles
proportions, a été une surprise.
Le fait que les journaux et la télévision fassent
de telles affaires des comptes rendus intensifs est au service d'un
indispensable travail de remise à plat. Le côté univoque, idéologiquement
marqué, et l'agressivité de nombreux médias prirent ici toutefois la forme
d'une guerre de propagande démesurée. Malgré cela le pape déclara sans
ambiguïté : « La plus grande persécution de l'Église ne vient pas de ses
ennemis extérieurs, mais est issue des péchés commis dans l'Église
elle-même. »
II était impossible de ne pas voir que la volonté de vérité n'était pas le
seul moteur de ce travail d'enquête mené par la presse, et qu'il s'y mêlait
la joie de dénoncer l'Église et de la discréditer le plus possible. Mais
malgré cela une chose devait rester claire : dans la mesure où c'est la
vérité, nous devons être reconnaissants de tout éclaircissement. La vérité,
liée à l'amour bien compris, c'est la valeur numéro un. Et finalement les
médias n'auraient pas pu rapporter les choses de cette manière si le mal
n'avait pas été effectivement présent au sein de l'Église. C'est seulement
parce que le mal était dans l'Église que d'autres ont pu s'en servir contre
elle.
Ernst-Wolfgang Böckenförde, un ancien juge
constitutionnel allemand, a dit : « Les paroles que le pape Benoît a
employées il y a des années aux États-Unis et maintenant dans sa
Lettre aux catholiques irlandais ne pouvaient pas
être plus incisives. » Le motif réel de cette évolution maligne survenue en
plusieurs décennies réside dans une manière d'agir profondément enracinée
selon la raison d'Église. On place le bien et le prestige de l'Église
au-dessus de tout. Le bien des victimes passe en revanche à l'arrière-plan
comme si c'était tout naturel, bien qu'en réalité elles aient besoin en tout
premier rang de la protection de l'Église.
Bien sûr, l'analyse n'est pas facile. Qu'est-ce que la raison d'Église?
Pourquoi n'a-t-on pas réagi autrefois de la même manière qu'aujourd'hui ?
Autrefois, la presse non plus ne s'emparait pas de ce genre de choses, on
n'en avait pas la même conscience. Nous savons que les victimes ressentent
elles aussi une grande honte et ne veulent pas forcément apparaître aussitôt
en pleine lumière. Beaucoup ont dû attendre des décennies pour pouvoir
s'exprimer sur ce qui leur était arrivé.
Il est important que, premièrement, on prenne soin des victimes et que l'on
fasse tout pour les aider ; deuxièmement, que l'on empêche de tels faits en
choisissant judicieusement les candidats au sacerdoce, autant qu'on le peut
; troisièmement, que les criminels soient punis et qu'on leur ôte toute
possibilité de récidiver. Dans quelle mesure les cas doivent être rendus
publics, c'est, je crois, une question particulière à laquelle il sera
répondu différemment selon les diverses phases de conscience de l'opinion
publique.
Mais il ne doit jamais arriver que l'on se dérobe et que l'on ne veuille pas
avoir vu et que l'on laisse les criminels continuer leur œuvre. La vigilance
de l'Église est donc nécessaire, tout comme la punition de celui qui a
failli, et surtout son exclusion de tout contact avec des enfants. En tout
premier lieu il y a, nous l'avons dit, l'amour pour les victimes, l'effort
accompli pour leur faire du bien à toutes afin de les aider à assimiler ce
qu'elles ont vécu.
Vous vous étiez exprimé en différentes occasions au
sujet des abus sexuels, en particulier dans la lettre pastorale aux
catholiques irlandais dont nous venons de parler. Pourtant on a sans cesse
vu paraître des grands titres du genre : « Le pape ne parle pas des abus
sexuels », « Le pape se voile dans le silence », « Le pape Benoît se tait
sur les scandales des abus sexuels dans l'Église catholique ». N'aurait-il
pas fallu parler plus fréquemment et à voix plus haute dans un monde devenu
si bruyant et sourd ?
On peut naturellement se poser la question. Il me semble que l'essentiel a
été dit. Car ce qui vaut pour l'Irlande n'était pas dit seulement pour
l'Irlande. Dans cette mesure, la parole de l'Église et du pape était
parfaitement claire, impossible à mettre en doute et on a pu l'entendre
partout. En Allemagne, nous avons dû d'abord laisser la parole aux évêques.
Mais on peut toujours demander si le pape ne doit pas parler encore plus
souvent. Je n'oserais pas en décider maintenant.
Mais au bout du compte c'est bien vous qui devez en
décider. Une meilleure communication aurait peut-être amélioré la situation.
Oui, c'est exact. D'un côté, je pense que l'essentiel a réellement été dit.
Et il était clair que cela ne valait pas seulement pour l'Irlande. D'un
autre côté, la parole appartient d'abord, je l'ai déjà dit, aux évêques.
Dans cette mesure il n'était pas faux d'attendre un peu.
Le plus gros de ces incidents date de plusieurs
décennies. Pourtant c'est sur votre pontificat qu'ils pèsent le plus lourd.
Avez-vous pensé à vous retirer ?
Quand le danger est grand, il ne faut pas s'enfuir. Le moment n'est donc
sûrement pas venu de se retirer. C'est justement dans ce genre de moments
qu'il faut tenir bon et dominer la situation difficile. C'est ma conception.
On peut se retirer dans un moment calme, ou quand tout simplement on ne peut
plus. Mais on ne doit pas s'enfuir au milieu du danger et dire : Qu'un autre
s'en occupe.
On peut donc imaginer une situation dans laquelle
vous jugeriez opportun un retrait du pape ?
Oui. Quand un pape en vient à reconnaître en toute
clarté que physiquement, psychiquement et spirituellement il ne peut plus
assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les
circonstances, le devoir de se retirer.
Celui qui a écouté et lu les médias à cette époque
avait forcément l'impression que l'Église catholique n'était qu'un vaste
système d'injustice et de méfaits sexuels. Il y avait, lisait-on sans autre
forme de procès, une relation immédiate entre la doctrine sexuelle
catholique, le célibat et les abus. Le fait qu'il existait des incidents du
même genre dans des institutions non catholiques passait à l'arrière-plan.
Selon le criminologue Christian Pfeiffer, 0,1 % des agresseurs sexuels
seraient issus du cercle des collaborateurs de l'Église catholique, 99,9
% proviendraient d'autres domaines. Aux États-Unis, selon un rapport du
gouvernement pour l'année 2008, la part des prêtres compromis dans des cas
de pédophilie était d'environ 0,03 %. La publication protestante
Christian Science Monitor a fait paraître une étude selon laquelle les
Églises protestantes d'Amérique sont touchées par la pédophilie dans une
bien plus grande proportion.
L'Église catholique est-elle observée et évaluée de
façon différente sur la question des abus sexuels ?
Vous avez déjà donné la réponse si l'on considère les proportions réelles.
Mais cela ne nous légitime certes pas à détourner le regard ou à minimiser.
Nous devons tout de même constater que ces affaires ne sont pas une
spécificité du sacerdoce catholique ou de l'Église catholique. Elles sont
malheureusement tout simplement ancrées dans la nature pécheresse de
l'homme, nature qui se trouve aussi dans l'Église catholique et a conduit à
ces effroyables résultats.
Cependant, il est aussi important de ne pas perdre pour autant des yeux le
bien que fait l'Église. De ne plus voir combien d'hommes sont aidés dans
leurs souffrances, combien de malades, combien d'enfants bénéficient d'une
assistance, toute l'aide qui est apportée. Nous n'avons pas le droit de
minimiser le mal, nous devons le reconnaître avec douleur, mais nous devons
également être reconnaissants envers l'Église catholique et rendre visible
toute la lumière qui émane d'elle. Si elle n'était plus là, ce sont des
espaces de vie entiers qui s'effondreraient.
Et pourtant, beaucoup trouvent difficile, par les
temps qui courent, de rester fidèles à l'Église. Pouvez-vous comprendre que
des gens se soient retirés de l'Église pour exprimer leur protestation ?
Je peux le comprendre. Je pense naturellement avant tout aux victimes
elles-mêmes. Qu'il leur semble difficile de croire encore que l'Église est
source du bien, qu'elle transmet la lumière du Christ, qu'elle aide à vivre,
— cela, je peux le comprendre. Et d'autres, qui n'ont que ces perceptions
négatives, ne voient plus l'ensemble, le côté vivant de l'Église. Nous
devons d'autant plus nous efforcer de rendre de nouveau visibles cette
vitalité et cette grandeur, malgré tout ce qu'il y a de négatif.
Quand vous étiez préfet de la Congrégation pour la
doctrine de la foi, vous avez édicté, immédiatement après la révélation des
abus sexuels commis aux États-Unis, des directives sur la manière de traiter
ces cas. Là, il s'agit aussi d'une collaboration avec les autorités
nationales chargées des poursuites pénales et de mesures préventives à
prendre. Il fallait empêcher toute dissimulation. Ces directives ont été
encore renforcées en 2003. Quelles conséquences le Vatican tire-t-il des
nouveaux cas révélés ?
Ces directives ont été retravaillées et récemment publiées dans une dernière
version. Toujours dans le prolongement des expériences faites, afin de
pouvoir encore mieux réagir à cette situation, avec plus d'exactitude et de
justesse. Toutefois, le droit pénal ne suffit pas ici. Car traiter ces
affaires dans le cadre juridique conforme est une chose. Veiller à ce qu'ils
ne se produisent si possible plus jamais en est une autre. Dans cette
intention, nous avons fait procéder en Amérique à une grande visite
canonique des séminaires. Il y avait apparemment ici des négligences, si
bien que l'on n'a pas assez exactement suivi les jeunes gens qui certes
semblaient avoir un certain don pour le travail avec la jeunesse et aussi,
d'une manière ou d'une autre, une disposition religieuse, mais chez lesquels
on aurait dû déceler qu'ils n'étaient pas aptes au sacerdoce.
La prévention est donc un secteur important. À cela s'ajoute la nécessité
d'une éducation positive à la véritable chasteté et à la juste relation avec
sa propre sexualité et celle des autres. Il y a sûrement beaucoup à
développer ici, y compris sur le plan théologique, et il faut créer le
climat adéquat. Et naturellement toute la communauté des croyants devrait
réfléchir aux vocations, agir et être attentive aux individus. D'un côté,
les conduire et les soutenir — et d'autre part aider aussi les supérieurs à
discerner si les personnes sont aptes ou non.
Il doit donc y avoir tout un faisceau de mesures ; d'une part préventives,
d'autre part réactives — et finalement positives, en créant un climat
spirituel où ces choses pourront être écartées, maîtrisées et exclues dans
toute la mesure du possible.
Vous avez récemment rencontré à Malte plusieurs
victimes de ces abus. L'un d'eux, Joseph Magro, a dit par la suite : « Le
pape a pleuré avec moi, bien qu'il ne soit pas coupable de ce qui m'est
arrivé. » Qu'avez-vous pu dire aux victimes ?
En réalité, je ne pouvais rien leur dire de particulier. Je pouvais
leur dire que cela m'atteint au plus profond de moi-même. Que je souffre
avec eux. Et ce n'était pas seulement une phrase, cela me touche vraiment le
cœur. Je pouvais aussi leur dire que l'Église fera tout pour que cela
n'arrive plus jamais et que nous voulons les aider aussi bien que nous le
pourrons. Et enfin, que nous les portons dans nos prières et que nous leur
demandons de ne pas perdre leur foi en la vraie lumière qu'est le Christ, et
en la communauté vivante de l'Église.
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Lumière du Monde
Sources : www.vatican.va
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.11.2014
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